Anachronismes

25 février 2008

J’aimerais parler en ce soir pluvieux d’un de mes contemporains d’origine italienne, l’abbé Michel de Pure né en 1620 et mort en avril 1680 et auteur, parmi d’autres ouvrages, d’un roman La Prétieuse ou Le Mystère des ruelles. Oui, ces précieuses tant moquées par Molière dans sa si mauvaise pièce Les précieuses ridicules. L’abbé sous un nom d’emprunt s’introduit chez ces dames et rapporte leurs paroles devant un feu qui flambe alors que les vers qu’elle décrient ou qu’elles louangent tombent en cendres en même temps que les bûches. De quoi parlent-elles sous leurs pseudonymes qui cachent leur véritable identité ? Eh bien de tout et de rien, expression mystérieuse, elles tournent simplement le rouet du langage jusqu’à épuisement de ses fils. Autant vous les faire entendre tout de suite. Elles parlent dans l’un des faubourgs cachés du XVIIe siècle. Vous donner leur adresse, ce serait trop dévoiler l’adresse de leur esprit qui n’en manque pas. La femme y fait entendre sa voix et tous les bruits exténués de nos vocables habituels, cette fois employés différemment et avec génie. Nous sommes dans le royaume du secret et de la confidence, le langage soudain sûr de lui-même y murmure tout seul. Dressez l’oreille, écoutez plutôt.

Je m’engage à vous faire voir des personnes qui diront d’aussi bonnes choses qu’on en puisse entendre, et d’une sorte que vous n’avez point encore entendue. Je ne veux pas en croire vos sens, qui sans doute seront frappés de la jeunesse et de la beauté des objets ; mais je ne veux que votre esprit et votre jugement pour remarquer l’air dont les choses sont dites, la vivacité des réparties, le feu de leur imagination et la pureté de leurs idées. Je voudrais seulement, répondit Philonime, qu’elles pussent parler aussi bien que vous, et être plus habiles que je ne suis pour vous pouvoir persuader qu’elles n’ont rien qui puisse vous donner de l’ennui ou de l’ombrage. J’attendrai demain sans impatience, puisque vous avez eu assez de bonté pour m’accorder la journée d’aujourd’hui. Vous satisfaites si pleinement les désirs, qu’il ne reste rien de vide parmi eux qui fasse soupirer, ou qui donne de l’empressement. Agathonte allait répondre à ces compliments, quand Sophronisbe et Melanire entrèrent dans la chambre où toute la conversation s’était passée. Mais quoi que l’abord en fût fort gai et fort enjoué, et surtout le premier compliment de Melanire, qui commença par un grand éclat de rire, et par ces mots : Mon Dieu, ma compagne, quelle pauvreté est ceci ? Comment avons-nous passé l’après-midi ? Nous n’avons pas ouï dire une chose raisonnable ; c’était la plus grande pauvreté du monde, il n’y avait plus moyen d’y durer ; l’impatience nous a prises …

Qu’elle vous prenne aussi, je veux dire l’impatience, et allez saisir au collet ce roman des infinitudes du langage où le mot parle au mot, la phrase à la phrase, où la virgule a autant d’importance que le point, où la ponctuation est celle de l’ineffable qu’on ne parvient pas complètement à attiser. Se lit en bibliothèque, ou s’achète chez l’éditeur, à Paris, à la librairie Droz, 25 rue de Tournon, ou ailleurs …

Michel Chaillou