Le feu Strindberg (1849-1912)

dimanche 29 novembre 2009

Toute traduction de cette œuvre magistrale en restitue la flamme nécessairement atténuée, certaines parmi les plus talentueuses s’approchant, au risque de s’y brûler, au plus près du foyer initial. C’est le cas du tome I de la Correspondance offerte dans un très bel exemplaire des éditions Zulma. L’ardeur des lettres de l’écrivain suédois semble, grâce à la traductrice Elena Balzamo, n’avoir rien perdu de son éclat à passer dans notre français plus tempéré. Et s’il nous arrive en lisant de tâtonner parfois dans la cendre de ce qui vient d’être dit, l’étincelle ne tarde pas à sourdre du bien ou du mal fondé d’un argument.

Voyez plutôt. N’oublions pas que, dans la lettre ci-dessous adressée à un ami et où le désespoir ne parvient pas à se dégeler en espoir, Strindberg, alors étudiant à l’Université d’Uppsala, n’a que 23 ans :

Très cher !

Comme tu es le seul être humain avec qui je puisse parler, et comme, en ce moment, j’ai besoin de parler, sois gentil et lis ce qui suit. Après des errances qui, faute de durer longtemps, ont été d’autant plus intenses, me voici dans l’impasse: C’est fini, impossible d’aller plus loin. Mais avant de me coucher, épuisé, au pied du mur qui me barre le chemin, je voudrais m’appuyer contre un réverbère pour esquisser quelques réflexions, courtes, car je suis pressé, par crainte que le réverbère ne s’éteigne, courtes, car j’ai peur de me fatiguer avant d’arriver à la conclusion.

Je suis las – de tout ! Là est le secret. Je suis las des êtres humains, c’est pourquoi il m’arrive de ne pas sortir pour déjeuner, pour éviter de côtoyer les gens; je fréquente désormais un autre établissement, car dans l’ancien je connais le montant de la note de chacun, je sais que Hellander ne prend jamais de hors d’œuvre, je sais qu’Aberg boit de la limonade, je sais que le serveur s’appelle Gustafsson, je connais par cœur le sourire du maître d’hôtel à l’instant où il encaisse le paiement, je connais chacun des clients; il ne s’y passe jamais rien, tout est figé, jamais de visage nouveau; c’est une monotonie qui m’aurait tué si la vie elle-même, la vie dans son ensemble, qui est exactement pareille, une copie conforme de ce bistrot, ne s’en chargeait pas !

Au temps de ma jeunesse …

Pourquoi, chez moi en ce moment ce besoin de feuilleter la correspondance de ces écrivains prodigieux que furent Strindberg, Faulkner, Flaubert ? Peut-être parce que j’y cherche les sources de l’œuvre à naître, l’indescriptible du descriptible, leur enfance encore présente, l’étymologie de leur inspiration, ce qui déjà dans leurs mots de vingt ans préfigure leurs futurs grands récits dont on sent s’approcher l’ombre. Je m’interroge.

Michel Chaillou