Magie noire

jeudi 31 août 2009

Hier j’ai relu (lu vraiment), un ouvrage exceptionnel à la fois par ce qu’il énonce, développe explicitement, et par ce qu’il murmure. Je me suis attaché à faire mûrir ce murmure. Ecoutez plutôt avec votre troisième oreille, les deux habituelles ne suffisent plus :

Mon ténébreux sujet est comme la mer. Celui qui y plonge souvent, apprend à y voir. Le besoin crée des sens. Témoin le singulier poisson dont parle Forbes (pertica astrolabus), qui, vivant au plus bas et près du fond, s’est créé un œil admirable pour saisir, concentrer les lueurs qui descendent jusque là. 

Il s’agit de La Sorcière de Jules Michelet dont l’implicite du récit fond sous les yeux au fur et à mesure qu’on le découvre. C’est par l’ombre de ses mots qu’on en pressent la confidence, par sa nuit, là où s’allument les forges du style. Ecoutez encore :

La sorcellerie, au premier regard, avait pour moi l’unité de la nuit. Peu à peu, je l’ai vue multiple et très diverse. En France, de province à province, grandes sont déjà les différences. En Lorraine, près de l’Allemagne, elle semble plus lourde et plus sombre, elle n’aime que les bêtes noires. Au Pays Basque, Satan est vif, espiègle, prestidigitateur. Au centre de la France, il est bon compagnon ; les oiseaux envolés qu’il lâche semblent l’aimable augure et le vœu de la liberté… 

Pourquoi ai-je vu dans ce ténébreux sujet traité par Michelet si magnifiquement, celui-là même de la littérature, celle du moins que je cherche et recherche depuis mon enfance dans les livres, quand les phrases deviennent presque les lignes de la main qui tourne les pages et vous suggèrent votre propre destin ? Acquérir l’œil du poisson insoluble des profondeurs pour déchiffrer l’épaisseur du mystère qui nous enveloppe et à qui les grandes œuvres rendent un singulier hommage. Ecrire pour moi c’est cela, s’approcher par le biais de la fable qu’on imagine au plus près de sa nuit, de ce qui échappe.

Certains auteurs nous assurent que, peu de temps avant la victoire du christianisme, une voix mystérieuse courait sur les rives de la mer Égée, disant : « Le grand Pan est mort. »

C’est comme un vibration de la mélancolie, l’écho qui devient plus fort que la voix. Quelle contrée atteignons-nous alors ? Dans ce livre de Michelet, les phrases elles-mêmes sont sorcières, elles créent un air subtil qu’on ne parvient pas à chanter et qui pourtant nous enchante. Il examine, scrute le visage de la sorcière à travers les âges. Il réfléchit à son jeu mystique et dans les marges de son récit s’énonce, s’amplifie la terrible lamentation du temps qui passe et des instants à jamais partis en fumée, un très grand livre vraiment.

Michel Chaillou