Pierre Loti, le roman d’un enfant

18 juin 2010

C’est un roman de la pénombre, le livre d’une enfance à demi éclairée dans une austère maison aux persiennes souvent closes, avec juste assez de lumière, de sens dans les mots disposés à l’aveugle pour avancer à tâtons dans l’inexprimable de vieilles heures rangées depuis des lustres au fond des armoires. Comment les épousseter, les réveiller, leur faire rendre gorge pour qu’elles nous restituentleurs instants d’autrefois, partagés entre cour et jardin et le signal écumeux dans le lointain d’un océan toujours prêt à mordre. Un chef-d’oeuvre ! Mais lisez plutôt cette première découverte de la mer par un petit garçon haut comme trois pommes cueillies au pommier :

Je voudrais essayer de dire maintenant l’impression que la mer m’a causée, lors de notre première entrevue,— qui fut un bref et lugubre tête-à- tête. […]

J’étais arrivé le soir, avec mes parents, dans un village de la côte saintongeaise, dans une maison de pêcheur louée pour la saison des bains. Je savais que nous étions venus là pour une chose qui s’appelait la mer, mais je ne l’avais pas encore vue (une ligne de dunes me la cachait, à cause de ma très petite taille) et j’étais dans une extrême impatience de la connaître. Après le dîner donc, à la tombée de la nuit, je m’échappais seul dehors. L’air vif, âpre, sentait je ne sais quoi d’inconnu, et un bruit singulier, à la fois faible et immense, se faisait derrière les petites montagnes de sable auxquelles un sentier conduisait.

Tout m’effrayait, ce bout de sentier inconnu, ce crépuscule tombant d’un ciel couvert, et aussi la solitude de ce coin de village […]

Puis, tout à coup, je m’arrêtais glacé, frissonnant de peur. Devant moi quelque chose apparaissait, quelque chose de sombre et de bruissant qui avait surgi de tous les côtés en même temps et qui semblait ne pas finir; une étendue en mouvement qui me donnait le vertige mortel…. Evidemment c’était ça.

etc.etc.

On sait que Pierre Loti deviendra officier de marine.

Michel Chaillou