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mercredi 25 juin 2008

Après un surprenant voyage à Bologne, ville de mes ancêtres maternels, je me retrouve chez moi, triturant mes quelques livres familiers, les prenant en long en large et en travers, lisotant au hasard. Aujourd’hui la Correspondance d’Etienne Pasquier, un contemporain de Montaigne. En particulier cette lettre où il s’exprime sur l’auteur des Essais.  En voici quelques passages :

Il était personnage hardi, qui se croyait, et comme tel se laissait aisément emporter à la beauté de son esprit : tellement que par ses écrits il prenait plaisir de déplaire plaisamment. De là vient que vous trouverez en lui plusieurs chapitres dont le chef ne se rapporte aucunement à tout le demeurant du corps, fors au pied, je veux dire aux dix ou douze lignes dernières du chapitre ou en peu de paroles, vers un autre endroit ; et néanmoins le chapitre sera de douze feuillets et plus. Tels trouverez-vous ceux dont les titres sont : l’histoire de Spurina, des Coches, de la Vanité, de la Physionomie, de la Ressemblance des enfants à leur pères, des Boiteux, et sur tous, celui des Vers de Virgile, qu’il pouvait à meilleur compte intituler Coq à l’âne, pour s’être donné pleine liberté de sauter d’un propos à l’autre, et ainsi que le vent de son esprit donnait le vol à sa plume.

Plaisir de ces vieilles lectures pour oublier le chant du coq du présent, la vulgarité ambiante, Etienne Pasquier dans la même lettre écrit plus loin :

Et quant à ses Essais (que j’appelle chefs-d’œuvre), je n’ai livre entre les mains que j’aie tant caressé que celui-là. J’y trouve toujours quelque chose à me contenter. C’est un autre Sénèque en notre langue. 

De même pour moi qui considère les Essais comme un livre d’heures, une façon de compulser les instants, de s’envoûter de leur richesse, de s’inventer le roman de son voisinage. Récemment un de mes amis s’est absenté des vivants et j’en reste très touché. Son prénom, Pierre, et c’était un écrivain français.

Et Pasquier reprend à propos de son ami Montaigne :

Il mourut dans sa maison de Montaigne, où lui tomba une esquinancie sur la langue, de telle façon qu’il demeura trois jours entiers plein d’entendement, sans pouvoir parler. 

Fragile destin ! Une autre fois je reparlerai de mon voyage à Bologne.

Michel Chaillou