Le Rêve de Saxe

roman, Gallimard 1986, « Folio » n° 1947

4e de couverture

Un homme essaie d’écrire sur l’Amour. Mais le sujet lui échappe, il n’en saisit que la fumée. Un jour, chinant aux Puces, il achète un couple de figurines en porcelaine de Saxe. Finie sa vie réglée, la comptabilité exacte de ses heures, un peuple d’ombres venues tout droit du XVIIIe siècle contamine malicieusement son emploi du temps. Il marche au présent mais respire sous Louis XV. L’érotisme brûlant et froid de la porcelaine a gagné le quotidien. Saxe ou sexe? Hier ou aujourd’hui ? Tout se mêle en une ronde endiablée. Quartier, famille, amis, rencontres de hasard participent des deux époques. Marquises et soubrettes débauchent des silhouettes féminines plus actuelles. Ne sachant plus à quel saint (sein) se vouer, le narrateur explore à tâtons le fragile magasin de son imaginaire. En sortira-t-il intact ?

Extrait (première page)

Ce fut au marché aux puces que je rencontrai les premiers héros de cette aventure. L’endroit figure assez mon esprit : hétéroclite, bric à brac d’objets dépareillés, contradictoires, au style rompu, furieux, cabossé, vieilles lunes, prose de chien, rouille et soliloque. Entré depuis quelques minutes dans une boutique, je venais de remuer une masse de bouquins fumigènes, l’âme déjà perdue par certaines gravures. Une surtout, plutôt agile, représentait un garçon au vit de menuisier, énorme, hors culotte, branlant avec énergie une jeunette retroussée sur un sofa qui avait aussi du volume. J’allais m’enquérir du prix quand un petit peuple aux mines extasiées me héla depuis une étagère. Je m’approchai. Un couple principalement me ravit, lui poudré de frais, d’une hauteur de seize centimètres, elle au clavecin mains écartées sur les touches. On a tous dans la mémoire, oubliée dans la poussière astrale d’un grenier, une au moins de ces figurines, bibelots de famille, gestes exquis, d’un temps où l’ombre même portait tricorne. »De la porcelaine de Saxe », renchérit la marchande à la belle bouche rebondie. Soupçonnait-elle le glossaire intense de la mienne ? Sa voix emmiellée me décida. Le feu avait pris au bleu du ciel, aussi à mon être. A cause du petit sac de jute recouvrant son bas-ventre, je crus qu’elle fouillait dans son sexe pour me rendre la monnaie. C’est une Mnémosyne de quartier, sœur certainement d’un Saturne de foire, avaleur de feu, de sabres. Elle me regardait, se touchant l’oreille. Me transmit-elle ses dons de réminiscence ? L’espace d’un éclair je me sentis d’un autre siècle. A vendre moi aussi. De la porcelaine de Sexe, ironisait une idée maligne. Je tournais les personnages entre mes doigts.

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Michel Chaillou