1945

récit, Seuil 2004

[Manuscrit donné au Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale]

4e de couverture

J’ai tenté de retrouver les origines de mon esprit, savoir comment il se forma au hasard des gens, des choses, quand encore en enfance, plongé dans son grand balbutiement, on ose à peine nommer ce qui nous entoure, qu’on vit comme à tâtons dans le jour le plus clair, cherchant son cœur, celui des autres alors que les adultes s’agitent autour comme de beaux diables avec leurs problèmes déraisonnables, trop grands pour nous. Pour moi ce fut en Bretagne, durant la dernière guerre, l’Occupation allemande, j’ai de 9 à 15 ans, des parents séparés, une mère Éva trop jeune, un père du même âge, Alexandre dit Alex. Éva pour son malheur se remaria avec un médecin, Robert Le Floch, surnommé Bob. En 1944, après maintes tribulations, j’habite avec cet homme taciturne (l’effroi de son silence à mon égard) un hiver, un bout d’été dans une presqu’île battue par un fort ressac (ce ressentiment de la mer), où bientôt se déroulèrent des événements majeurs. J’en ressens encore l’ombre à défaut du soleil qui s’est éclipsé, de la pluie vengeresse qui depuis rabaissa son caquet. Il y avait du vent, un grand qui m’emporte toujours, de l’écume, et tout se salissait vite, sentiments, pensées. A qui se fier ? Sur la plage, le pied enfonçait trop, tout devenait mouvant, incertain. Les vagues se succédaient chargées de périls. Où trouver le sol assez ferme ? Le lieu débarrassé de toute forfaiture ? Le granit ne manque pas, mais la certitude ? Je cherche, avance à l’aveugle, qu’enfin au bout du chemin les gens ressemblent à ce qu’ils paraissent, qu’il n’y ait plus de traîtrise qu’entre chien et loup, au crépuscule.

Extrait (première page)

Je couche avec un soldat allemand. Je crierais trop la nuit à cause de la nuit. Mais qu’y puis-je si cette mégère tarde à devenir ma soeur inconsolable ? Aussi pour me faire taire m’a-t-on fourré dans le lit du cuisinier. Un « on » unanime à casquettes galonnées qui ricane de mes cauchemars à travers les étages, se moque sur tous les tons de cette frayeur sans nom qui me catapulte dans l’épouvante. A-t-on idée de croire à toutes ces bêtises du sommeil ! On a déjà bien assez de ce que l’aube nous propose en ces années terribles. Comment se peut-il qu’un grand garçon comme moi se pelotonne d’effroi dès que s’enhardit le crépuscule … ? D’ici que ces Prussiens s’imaginent que les Français sont tous peureux ! Je dois montrer l’exemple, entrer en résistance, question d’honneur ! Si bien que dans la journée j’essaie d’attraper du courage, du menton. Hélas aux premières ténèbres, je défaille, remonte le drap. Il y a déjà trop de recoins d’ombre dans cette bâtisse et comme j’y ajoute les miens !Une nuit, le cuisinier et moi, on a été réveillés. Un autre soldat gueulait dans la cour accompagné d’une « gretchen » en uniforme qui chantait aussi. Comment peut-on se plaindre de mes hurlements alors que le couple pousse à l’accordéon une rengaine style Lily Marlène passé deux heures du matin, leurs faces joyeuses levées vers nous, debout en pyjama à la fenêtre. Hans en pleurait d’émotion : le fêter ainsi pour son anniversaire ! un brave bougre que ce cuisinier natif de Brême, la cité hanséatique où se dresse à côté d’un restaurant ultra-chic la statue de Roland, le neveu de Charlemagne, le héros de Ronceveaux. Après l’aubade, et le retour au lit, le bon Hans m’a longuement seriné à l’oreille sa famille restée au pays, son fils qui me ressemble, sa fille, une « tulipe ». Prononça-t-il ce terme la bouche en cœur dans son verbiage allemand qui s’efforçait au français ? Je doute aujourd’hui que son vocabulaire ait pu fleurir si loin. Bien qu’à la réflexion, …

Revue de presse

La critique des médias

Michel Chaillou