A propos de l’Erreur judiciaire de Dominique Inchauspé

dimanche 10 avril 2011

Je reproduis ici la note de lecture que j’ai consacrée à l’ouvrage de Dominique Inchauspé L’erreur judiciaire (PUF), dans le numéro 29 du Magazine des livres.

L’ERREUR JUDICIAIRE : UN ROMAN DE LA PERPLEXITÉ

La vérité, cette petite lueur malade d’elle-même, comment l’accroître, la faire grandir? Qu’elle finisse par dissiper le sombre doute et son cousinage pour
parvenir à la clarté éblouissante d’une chaîne de certitudes? Dominique Inchauspé, avocat pénaliste et romancier dans son brillant essai L’Erreur judiciaire s’y emploie pourtant avec talent en passant au crible d’une analyse très fine, après un examen minutieux des mœurs anglo-saxonnes en la matière et l’énumération réfléchie des différences entre le droit britannique et le nôtre, cinq célèbres et ténébreux faits-divers qui défrayèrent, effrayèrent tant les annales judiciaires françaises depuis l’affaire Seznec jusqu’à celle d’Outreau.

Où trouver en effet, dans quel pays de la raison, l’indice, la preuve qui permettra de distinguer l’innocent du présumé coupable ou l’inverse? A lire à chaque fois l’énoncé terrible des faits (cette entreprise des ténèbres), le cœur vous faille. On ne sait bientôt plus avec le ou les enquêteurs sur quelle planète on erre. Le temps semble avoir des instants en trop ou en moins. Est-ce encore la terre habitable et ses chemins sans équivoque qui vous mènent en droite ligne d’un point à un autre ou les lieux chavirés d’un globe sans foi ni loi roulant ivre dans la profondeur d’un éther hagard? La lune paraît pourtant toujours pendue à son exacte place et de même son royal compagnon, le soleil, néanmoins les troubles événements que ces astres éclairent ne semblent plus relever de leur juridiction. Un crime a été commis. Qui a vu qui? Et quoi? Des enfants ont été détruits aux alentours d’une voie ferrée et c’est l’affaire Dils, un couple a été assassiné dans sa maison de Loire-Atlantique et c’est le crime de la Plaine-Sur-Mer, on a perdu la trace d’un homme et c’est Seznec et son énigmatique dossier, une victime accuse d’une écriture malhabile de dernier moment son jardinier et c’est…

A quoi bon continuer, à chaque fois, il s’agit de reconstituer les faits, d’où une enquête préalable de voisinage pour savoir qui par hasard (mais le hasard lui-même a-t-il les mains propres?) passait par là au moment terrible où…Mais les éventuels témoignages qui permettent de cerner l’ombre de quelques présences à proximité de l’effroyable forfait sont-ils fiables? Ne convient-il pas d’en vérifier aussitôt tous les aléas, contradictions, absences éventuelles, omissions? Ce à quoi s’emploie la police qui assiège de questions redoutables le ou les suspects mis en garde-à-vue. Et en effet parfois ceux-ci avouent ! Mais cet aveu est-il recevable, conduit-il à la preuve irréfutable? L’irréfutable est-il possible dans ce bas monde? Notre perplexité grandit. Quelqu’un parle, mais dit-il le vrai? Pendant qu’il discourt, son ombre fait le singe, contorsionne peut-être dans son dos autre chose que ce qu’il déclare. Est-ce à elle qu’on doit passer les menottes? On croyait tenir une preuve, elle nous échappe, tel un poisson dans son eau vive. On a bien l’eau, mais la vérité qui y frétille? Et le temps passe, le jour du crime s’éloigne, son heure fatale s’estompe, tout devient abstrait, inconséquent par trop de conséquences. On s’embrouille. Comment remonter le cours des événements? Aboutir au fait brut, inintelligible, trouver la raison qui le rendra plausible, du moins explicable, c’est-à-dire plus humain, car parvenir à expliquer innocente d’une certaine façon. Mais arrivera-t-on jamais justement à expliquer l’inimaginable horreur?

On l’a compris, le passionnant essai de Dominique Inchauspé se lit comme un roman policier, comme une contre-enquête magistrale qui étudie pas à pas le cheminement de ces successives investigations. Nous rangerons-nous du côté de la défense ou de l’accusation ? Sommes-nous devenus en tant que lecteur le dernier enquêteur ou l’ultime témoin? Et l’innocence, qu’est-ce, cette pureté d’aube? Et son contraire tassé sur le banc des accusés au tribunal? Un des mérites de ce livre si parfaitement documenté: vous entraîner dans une procédure complexe où l’accumulation vertigineuse des doutes rend déjà folle une vérité possible. Serons-nous avocat ou juge? A nous de partager ou non les hypothèses de l’auteur, ses convictions intimes. La justice, c’est justement cette balance de mots départagés par son fléau (le crime) qui pèse d’un côté ou de l’autre, à nous de nous faire une opinion, de trouver le juste équilibre dans ce vibrant plaidoyer qui phrase après phrase cherche son chemin. Ce récit inlassable d’une justice qui tarde à se débarrasser de ses ombres est une des qualités évidentes de cet essai. Loin de vous encombrer de ses certitudes, l’auteur vous expose du mieux qu’il peut les faits.

A vous en bon détective de les flairer, de vous forger des convictions. Après tout un criminel, c’est un enfant de la nuit et le jour peut-il être déclaré responsable de sa nuit, quand celle-ci déborde du lit, et ose s’aventurer chargée de ses abominations dans le clair matin?

Michel Chaillou