Auto-stop avec Jean Giono

jeudi 5 août 2010

Durant quelques jours passés en famille à Saint-Malo devant la franchise de la mer, redécouverte d’un livre génial de Jean Giono, Les Grands Chemins, ou comment raconter une histoire sans la dire.

Un homme sur une route perdue fait de l’auto-stop et ses mots aussi. On lit, on attend avec lui le camion chargé d’acide qui va bientôt le prendre, le camion du sens de ce qui va suivre. On ne sait rien du personnage, peut-être que le prochain virage nous apprendra qui il est. L’homme fait copain-copain avec la nature, avec le mystère. On espère qu’à la phrase suivante on comprendra mieux: il doit bien y avoir des clairières dans la forêt obscure de son être mais on pressent qu’il a depuis longtemps quitté la lisière de toute chose, qu’il chemine dans les ténèbres. Il bourre ses mots comme il bourre sa pipe pour faire un peu de clarté, pour que quelque chose au moins en lui rougeoie. Le ton est familier. Un jour de plus à vivre s’achète comme le journal à l’épicerie de la réalité. Il y a les gros titres et puis les tout petits. Il va être bientôt dix heures mais l’heure retarde et le retard, le héros de ce récit le porte sur soi comme un costume déjà usé par d’autres.

« C’est loin ? » demande-t-il. Non, c’est proche. Proche et loin, proche loin. Tout s’accepte, tout se refuse. Ombrageuse aventure, mais lisez plutôt, en voici le début :

C’est le matin de bonne heure. Je suis au bord de la route et j’attends la camionnette qui ramasse le lait. Quand je la vois arriver je me dresse et je fais signe mais le type ne me regarde même pas et me laisse tomber. Je bourre ma pipe. L’automne me traite vraiment en bon copain depuis des semaines. Les vergers sont rouges de pommes. Au bout d’un moment j’entends un autre bruit de moteur : c’est une grosse citerne avec remorque. Celui-là me prend. Le type est seul. Il pousse son bleu dans un coin et il veut une cigarette. Je la lui roule. Je lui demande s’il faut que je la mouille et il me dit :

« Mouille-la. »

Il ne s’occupe pas d’où je viens, c’est bon signe, mais où je vais. Je lui réponds que je ne suis pas bien fixé.

« Boulot ? dit-il.

– Oui et non. « 

Nous roulons un peu sans rien dire. Ca me plaît.

Nous nous tenons alors sur le seuil énigmatique de la chimère. Encore un pas et tout va s’ouvrir.

Michel Chaillou