La prose bousculée d’Armand Robin (1912-1961)

mercredi 8 mars 2010

Un Breton, né du labour des champs et de l’océan qui fracasse
à la ferme de Kerfloc’h, nous dit-on
à Rostrenen, au collège, il apprend le français, le latin, le grec et surtout le Robin
une langue à nulle autre pareille,
une prose qui s’épanche en vers,
ses mots flaques de silence qu’on entend pourtant.
Le temps qu’il fait, son premier livre.
Un recueil d’échos d’on ne sait quoi.
La solitude y parle en maîtresse femme.
Comment expliquer ?
C’est de la préhistoire plus que de l’histoire.
On erre dans les dessous du monde.
La terre montre ses muscles.

Mais lisez plutôt :

Février finissait, mais cette année-là, dans toute la Bretagne, l’hiver s’entêtait à se coller au sol; l’horizon s’était embourbé dans un lointain épais; les collines avaient sombré; l’espace s’était aplati au ras des champs. Entre le ciel et la terre, privée de couleurs et de formes, rampait une buée fragile et frissonnante; parfois elle titubait, s’accrochait aux rochers, aux mottes de glaise, timide haleine de malade. Sur les talus proches chancelaient les contours noircis de quelque hêtre; autour de cette indécise colonne flottaient les limites de l’univers retréci. A chaque pas le ciel s’écroulait dans la boue, sans bruit : le silence lui-même, alourdi et terni, gisait écrasé nul ne savait où. A la terre entière s’était mêlée une mort fangeuse. Les hommes eux-mêmes étaient secrètement tentés de s’arrêter; leur regard et leur volonté pataugeaient et s’enlisaient dans les lourdes lueurs et, lorsqu’ils se traînaient muets vers leur travail, le destin se collait à leurs pieds en lentes mottes d’argile. Tous les matins pourtant, dans l’aube absente, ils quittaient leurs demeures décolorées; flottants et ternes, ils se confondaient bientôt avec l’innombrable grisaille; tout avait disparu; leurs talus les plus fidèles ne les précédaient plus. Au-dessus d’eux le ciel absorbait leurs outils et parfois, autour de leur front, il descendait et se serrait, casquette usée par les pluies. Tout avait l’air d’être à sa fin …

 

Les choses suivent le pas de l’homme et la vie du roman semble sortir des ahans du bûcheron. etc, etc. Magnifique écrivain. Lire aussi Ma vie sans moi, collection Poésie Gallimard. Dans ce dernier livre, ces vers pêchés au hasard et d’une beauté définitive :

Nous fûmes les gens d’un très pauvre monde
Et de pauvres gens qui ne pouvaient plus rien.

ou

Dans une ère où le poème était jeu
Je vins avec dans mon cœur des chants de feu.

ou

Par la ville va le bruit que je suis un dément,
Je ne suis qu’un vaincu qui vais me cachant
Pour pouvoir loin de tous, pour tous, obscurément,
Pleurer en ouvrier, en paysan de tous les temps
Sur les hommes de ce temps vaillants, vacillants.

Comment résister à la sauvagerie de tels accents ?

Michel Chaillou