Nantes à Matignon

19 avril 2013

Presque un mois déjà ! Le samedi 23 mars à 11 heures, Jean-Marc Ayrault m’a gentiment ouvert les portes de l’Hôtel de Matignon à l’occasion de la remise des manuscrits de deux de mes livres — La Croyance des voleurs et La Fuite en Egypte — à la ville de Nantes, ma ville natale. Etaient présents, outre son maire actuel Patrick Rimbert, un certain nombre d’amis parisiens et de l’Académie de Bretagne représentée par son chancelier Jean-Yves Paumier et sa secrétaire générale, Noëlle Ménard.

Mon émotion était grande quand il s’est agi pour moi de prendre la parole afin d’exposer en quelques phrases ce que je pense aujourd’hui de mon travail après 27 livres publiés. Voici :

D’abord un peu de légende familiale. Au début du siècle dernier ma grand-mère maternelle, jeune fille de la bonne société nantaise, après une soirée passée au théâtre avec son père, professeur à l’école des Beaux-Arts, entre dans la brasserie à la mode qui fait face au théâtre, la Cigale, et qui existe toujours. Ce soir-là s’y produisait un bohémien d’une quarantaine d’années qui faisait naître des fleurs sur les vitres grâce à des pinceaux dissimulés dans ses mains ou bien chantait en s’accompagnant à la guitare. Le soir-même elle s’enfuyait avec lui. Il lui fera deux enfants dont ma mère et disparaîtra sans même donner l’ombre de son nom.

Et voilà que je m’imagine maintenant que lorsque j’écris je reproduis cette perpétuelle errance vers la patrie immatérielle des bohémiens, cette petite Egypte qu’on a longtemps située en Asie Mineure ou du moins dans le recoin le plus distrait d’une carte de géographie. Qu’en ce sens chacun de mes livres cacherait une petite Egypte à atteindre par le chemin des phrases les plus détournées. En effet quand je sors du théâtre intime de mes pensées, traversant une longue période d’attente analogue à la place que traverse mon aïeule alors jeune fille à la fin de ce spectacle et que j’entre soudain dans la brasserie du quotidien, un titre me saute à la figure, je deviens bohème avec mes phrases et je pars à la nuit tombée de l’esprit le long d’une route imprévisible.

Dans mon texte qui s’élabore il y a déjà des mots « petite Egypte ». Ainsi dans la première phrase de La Croyance des voleurs le mot éternité (« Chez nous on a une table, quatre chaises, plus l’éternité »). Ce « plus l’éternité »préfigure déjà l’avenir du livre, le destin de ce qui va suivre.

Voilà ce que j’ai essayé d’exprimer ce jour-là concernant mon style, qui n’est qu’une marche vers l’inconnu.

D’autres photos (dues à l’ami Xavier Ménard) illustrent pour moi cette heure mémorable dans les ors de la République et la chaleur de l’amitié.

Michel Chaillou