Voyages

lundi 24 novembre 2008

J’arrive de Valognes, de chez Barbey d’Aurevilly dont j’aime la phrase de noctambule du jour. On sent qu’il écrit comme on sort tard, que midi chez lui sonne les douze coups de minuit, qu’à lire Les Diaboliques, Le Chevalier des Touches, L’Ensorcelée on entre dans un univers qui recèle plus d’ombre que de lumière. Magistral Barbey ! Chacun de ses mots endort l’histoire qu’il nous conte pour nous éveiller vers d’autres aubes. Ce n’est pas une œuvre pour âmes éteintes, ce sont des récits qui cultivent l’héroïsme des heures. Exemple de cette mise en légende du lecteur:

C’était vers les dernières années de la Restauration. La demie de huit heures, comme on dit dans l’Ouest, venait de sonner au clocher, pointu comme une aiguille et vitré comme une lanterne de l’aristocratique petite ville de Valognes. Le bruit de deux sabots trainants, que la terreur ou le mauvais temps semblaient hâter dans leur marche mal assurée, troublait seul le silence de la place des Capucins…

J’ai longtemps chaussé ces sabots… Errant dans Valognes le long de ces murs de pierre grise, devant ces hôtels particuliers qui évoquent une gloire d’autrefois, j’ai apprécié la solitude des arbres et des rares passants. Une image m’a frappé : à un carrefour un homme jeune encore entrait dans une maison à deux étages, au bord d’une rue frappée de mélancolie et je ne sais pas pourquoi cette image d’un homme jeune et grand – il se courbe pour entrer par cette modeste porte – m’a touché.
Rien de particulier pourtant. Était-ce le geste de soumission du personnage, la lueur d’un foyer domestique qu’on devinait à l’arrière plan, le battement sombre de l’air (il bruinait) ? Cet homme qui se réfugie dans le cercle de lumière d’une maisonnée qui semble l’attendre m’a vraiment ému. J’ai imaginé l’épouse, la toile cirée sur la table, le buffet, l’armoire, les bruits d’enfants à l’étage et le désert du grenier.
C’était presque un début de roman, à cause du dos courbé du jeune homme franchissant un seuil, de la clarté presque morale qui m’avait éclairé fugitivement. Et je ne faisais que passer. Autrement le parti socialiste se désunit et cela m’afflige. La crise est toujours présente et frappe au carreau.

Michel Chaillou