Collège Vaserman

récit, Gallimard 1970

Manuscrit donné au Département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale. Numérisé et consultable en ligne sur Gallica.

Le livre a été adapté en feuilleton pour France Culture et diffusé en 2001

4e de couverture

Ouvrir ce livre, c’est tomber sous la férule d’un maître impitoyable. Ne pas l’ouvrir c’est s’exclure à jamais du « Collège Vaserman », communauté secrète et théâtrale dont l’incomparable programme vise à régénérer votre esprit, perverti depuis des siècles par un usage immodeste de l’imprimerie. Au cas où l’aventure vous tenterait, sachez que cet ouvrage se veut méthodiquement incohérent. Attachez vos ceintures. Apparemment il s’agit de théâtre. Des comédiens entrent, sortent. Des intrigues se nouent (que pourraient-elles faire d’autre ?). Apparemment un magister à la voix de stentor vous initie dans un dialecte inconnu, le chitien, à l’univers du spectacle. Apparemment … Mais laissez vos yeux s’aiguiser, votre odorat devenir subtil, votre toucher, votre ouïe s’accroître. Que lisez-vous maintenant ?

Extraits

Première page

Le décor est un théâtre. Les œuvres présentées le sont pour la première fois et de manière définitive. Personne n’applaudira. Il est défendu de circuler pendant les intermèdes et des boissons strictement gazeuses seront comptées à chaque spectateur à l’entrée de la salle. La monnaie ne se rendra pas. A l’extinction des lampes et alors que le rideau toujours baissé masquera une mêlée confuse, les ouvreuses couvertes d’étoffes uniformément lustrées entonneront un chant funèbre. La paille tombera des loges et les couloirs latéraux qui permettent l’accès aux galeries supérieures s’empliront d’instruments de musique chassés des conservatoires. Une viole descendra sur l’avant-scène et se tiendra coite. Quiconque osera réclamer une explication se verra tranché en deux parties et jeté au souffleur. Le chant qui s’aidera d’un antiphonaire, s’élèvera des extrémités de la salle avec accompagnement de buccins. Les soli sont interdits. Mais le cas échéant, une des ouvreuses, distinguée en raison de sa gorge sèche, pourra, afin d’écarter toute idée de monotonie, siffler par intervalles. Il ne sera jamais question d’Arsinoé. Que les commencements de la représentation soient insensibles, c’est-à-dire que les ouvreuses allant et chantant, l’on ne prenne garde au rideau levé que par l’éclat des acteurs et le son de la viole. Si l’héroïne se trouve mal, qu’elle meure.

Un peu plus loin

Thèbes minuit. (L’action commence toujours à Thèbes). Voix d’Or, le dos calé de deux coussins, coin gauche, côté jardin. Un précepteur, borgne d’un certain âge. Alphonse valet inconnu. Osette servante espiègle. Une cornemuse qui muse. (La comédie se joue quelquefois à mi-voix, yeux mi-clos) La scène est dans un jardin qui communique à un autre jardin qui lui-même … bref la scène se joue ailleurs

OSETTE

Non pas

ALPHONSE

Oh si (Var. : mais si.)

OSETTE

Non pas

ALPHONSE

Oh si (Var. : mais si.)

OSETTE

Non pas

ALPHONSE

Oh si (Var. : mais si.)

ALPHONSE, s’approchant

Mais si m’amie jolie (Var.: oh si m’amoue joujou)

OSETTE, le repoussant un peu.

Non pas funèbre gars

ALPHONSE

Je t’embrasserai

OSETTE

Je refuserai

ALPHONSE riant.

Nenni babil gentil

OSETTE riant. (Var.: même jeu)

Nono bobo gento

ALPHONSE, désignant le canapé

Mi fa do la sur le sofa

OSETTE

Sol do si ré à l’hyménée

ALPHONSE

Cruel nougat

OSETTE

Vilain jaseur

ALPHONSE

Dans ton étui m’amie minuit

OSETTE, qui s’enfuit car minuit tinte.

Jamais Monsieur le laid

Michel Chaillou