Déménagements

mardi 6 mai 2008

A force d’ouvrir des livres comme des portes, des portes du temps parfois depuis longtemps verrouillées, ce Traité des synonymes françois de feu l’abbé Girard (1753) qui m’émeut dans tous ses mots, tant on a l’impression d’y entrer par effraction, d’y surprendre des significations endormies qu’on réveille à peine le temps d’une lecture. Deux siècles et demi déjà que la clé n’a pas tourné dans la serrure de la page de garde.

C’est par l’humeur qu’on est gai,

écrit le regretté abbé Girard. Et qui ne sent ici planer avec cette évidence toute une époque qui gesticule autrement que la nôtre et dont il ne serait peut-être pas si vain (d’un point de vue romanesque) de vouloir archiver les échos. De toute façon voici l’extrait in extenso, consacré à gai. enjoué. réjouissant.

C’est par l’humeur qu’on est gai, par le caractère d’esprit qu’on est enjoué, et par les façons d’agir qu’on est réjouissant. Le triste, le sérieux et l’ennuyeux sont précisément leurs opposés. Notre gaieté tourne presque entièrement à notre profit ; notre enjouement satisfait autant ceux avec qui nous nous trouvons que nous-mêmes ; mais nous sommes uniquement réjouissants pour les autres. Un homme gai veut rire. Un homme enjoué est de bonne compagnie. Un homme réjouissant fait rire. Il convient d’être gai dans les divertissements, d’être enjoué dans les conversations libres, et il faut éviter d’être réjouissant par le ridicule.

Pourquoi certains mots font-ils davantage rêver que d’autres : « bonne compagnie », par exemple qui ne cesse de s’éteindre en moi. C’est comme une autre langue, du français perdu qu’on essaye à nouveau de réentendre. Relire, écouter, écouter, relire par la grammaire de l’oreille. Les mots ne s’achèvent pas vraiment, chaque phrase se prolonge à l’ombre de ce qu’elle vient d’énoncer.

Michel Chaillou