Indigne Indigo

roman, Seuil 2000, Fayard 2007

4e de couverture

Jean-Jacques Abernatis qui n’a jamais été marié, sauf avec les distractions de son esprit, devance l’âge de la retraite par suite d’un héritage inattendu. Ses collègues bibliothécaires l’ont toujours considéré comme particulier, pas de son temps, avec des mots à lui, un vocabulaire tombé de la lune, des goûts, des passions qu’on ne voit à personne. Il a eu des amours, mais fugitives, de bref éclairs vite éteints, de simples passades. Cette fois, il décide de quitter Paris. Lui si exagéré de comportement, cherche un pays excessif à son image pour s’y installer, couvrir sa solitude d’un ciel indécis comme son âme. Un couple d’amis lui chuchote qu’en France même, à quelques centaines de kilomètres de la capitale, une telle contrée existe: le Cotentin. Il s’y rend avec sa vieille Simca, finit par dénicher une maison dite de caractère, du moins d’un caractère analogue au sien. Mais la bâtisse n’est qu’à louer avec tous ses meubles et quelque chose d’autre qu’on lui cache et qu’il apprendra bien vite à ses dépens. Il s’y enferme, relié au reste du monde par le téléphone, les journaux, et ses promenades à travers champs devant la mer à deux pas, au creux vivifiant d’une campagne soulevée d’émotion autour de ses raides rochers. Et si la vieillesse recelait une autre jeunesse, une façon plus vive de compter ses jours, de s’illuminer de la flambée des heures ? N’empêche, l’ami Jean-Jacques se trouve aux prises avec une étrange histoire.

Extrait (début)

Des amis m’avaient dit : « Toi qui cherches une terre qui exagère ! » L’énergie de leurs paroles eût pu décider un mort. J’hésitai. A les entendre, ce ne serait plus tout à fait la Normandie et cependant pas encore la Bretagne, un pays vraiment à part. Au moins 350 kilomètres de côtes, des falaises de légende, une traînée de grèves pâles à l’ouest, à l’est, où s’abattent l’hiver quantité d’oiseaux de mer. L’esprit se perdrait à vouloir les énumérer, me prévenaient-ils, connaissant de longue date mes manies. Ce désir permanent d’investigations, d’analyser des riens à propos de tout. Que dans un bois des cendres se dispersent, et je n’ aurai de cesse d’en vouloir reconstituer aussitôt la flamme, le foyer, le campement, le nombre de tentes, de jeunes gens sac au dos s’approchant, s’estompant sur le chemin supportable survolé de possibles cormorans qui piaillent. Un bruyant découpage d’écume, renchérissaient mes amis, d’innombrables vagues en surnombre, une campagne surexcitée, battue, fouettée d’orages. A quoi bon y ajouter le mien, cette perpétuelle anxiété qui m’oppresse, m’accable ? J’oubliais donc et leur éloquence et l’infini de leurs suggestions. Mais ils revinrent bientôt à la charge, intarissables et charmants au bout du fil. Autant alors faire vite dans l’intérêt même de cette histoire et résumer d’un trait leurs arguments. Une péninsule de haut voltage, m’énonçaient-ils, flattant sciemment mes goûts héroïques, ma recherche paradoxale du chaos, des éboulis de pensée. Tout s’y trouverait multiplié : hauteur de l’herbe, grandissimes haies, creux des chemins creux, villages à loquet perdu que jamais nul étranger ne soulève, mais aussi magistral soleil, en dépit du trouble-fête des averses, de l’énorme fatras de pluies successives et peu archivables, cependant de l’air à bonnes joues, un vent éternel. Ah le vent, mon camarade, l’élément qui me pousse, virevolte tirebouchonne. En grec ancien l’anémone justement signifierait « fleur du vent » en raison de la mobilité de ses feuilles. Je tenais la chose d’un fascicule un peu jauni découvert alors sur les quais et imprimé à Coutances au siècle dernier: La Flore scientifique et populaire d’Angleterre et du Cotentin. Car c’était du Cotentin dont ce couple d’enthousiastes m’entretenait si vivement.

Revue de presse

La critique des médias

Michel Chaillou