Jean-Yves Paumier

Chancelier de l'Académie de Bretagne et des pays de la Loire dont Michel Chaillou était membre d'honneur depuis 2005.
À Michel Chaillou, de Nantes

À travers ces mots, c’est toute ta famille nantaise, ta famille littéraire de l’Académie de Bretagne, qui vient te dire, non pas qu’elle t’aimait bien, comme dans une chanson qui s’envole, mais qu’elle t’aime toujours, à chaque instant présent, que rien n’a changé. Ce message que je t’adresse ici, à titre personnel et au nom de l’Académie de Bretagne, n’est pas le dernier. C’est à Nantes, en presqu’île de Quiberon, en Bretagne et en Vendée que tu venais retrouver les lieux et les gens d’une jeunesse étonnamment romanesque, et parfois chaotique à l’image des temps traversés, sur lesquels nous t’accompagnions parfois avant de les retrouver dans de si beaux récits.

Avec tous ces amis qui viennent d’évoquer ta vie et de parcourir ton œuvre – qui fait véritablement bande à part dans la littérature française contemporaine – je suis certain qu’elle traversera le temps en se bonifiant, non pas elle-même qui n’a point besoin de changer la moindre virgule, mais plutôt dans le regard d’un nombre croissant de lettrés et de lecteurs. Nos rencontres ont laissé tant de souvenirs personnels que le temps se chargera de les révéler, par la voix ou par la plume, dans un page à page au gré des saisons.

Car nous avons aimé le poète du style, l’écrivain libre de tout, y compris de lui-même, l’ami à l’écoute pas uniquement intérieure, toujours disponible pour donner un encouragement ou un bon conseil. Et même, parfois, de trouver des attraits littéraires et poétiques cachés dans des écrits à prétention plus documentaire.

Malgré les épreuves endurées depuis plus d’un an, Michel était resté lui-même, l’écriture lui servait de traitement, Michèle et la famille à ses côtés. Il nous laisse aujourd’hui un dernier texte (enfin presque) avec ce petit bijou littéraire qu’est L’hypothèse de l’ombre. Le récit très émouvant d’un homme pour qui « l’essentiel était de se faire oublier », d’être une ombre sur cette terre, oui mais une ombre durable. Car Michel restera toujours parmi nous, son œuvre sera son visage, son regard, son sourire, et elle sera aussi son message, intemporel.

Si l’Académie française ne t’a pas accordé l’éternité, elle t’a néanmoins offert un cadeau bien plus beau encore, en te décernant son Grand Prix de Littérature pour l’ensemble de ton œuvre, ce que d’aucuns considèrent comme la plus belle récompense de la république des lettres. Notre Académie de Bretagne, dont tu étais devenu en 2005 membre d’honneur, n’a pas, elle, ce pouvoir réservé à sa grande sœur. Mais elle se souvient de ce grand bonheur partagé lorsque tu as légué à ta ville de naissance, Nantes, les deux très symboliques manuscrits de La Croyance des voleurs et La Fuite en Égypte, remis si solennellement à l’Hôtel de Matignon le 23 mars dernier, en présence du maire de Nantes et de son prédécesseur devenu Premier ministre, pour éviter un déplacement que tu ne pouvais effectuer.

Mais donc pour revenir à l’éternité, nul besoin de quelque Académie. Tu avais en effet tout prévu, et il nous suffit de relire les premiers mots de ton entrée littéraire à Nantes, ceux précisément de l’incipit de La Croyance des voleurs :

« Chez nous on a une table, quatre chaises, plus l’éternité »

 

 

Michel Chaillou