L’Armée taciturne
Le livre assez inégal fut à deux doigts d’être publié.
Cela commence ainsi :
« La nouvelle se répandit avec éclat dans tout le voisinage. Ali, habile dans les exercices du corps, grimpa au faîte de la ville, sur la plus haute tour. La guerre, depuis cinquante ans, éclaircissait le pays et quoique l’accoutumance à cet état eût gagné les esprits, ces accidents actuels n’en
n’étaient pas moins violents et redoutés. C’étaient tous les jours des battues dans les champs à peine ensemencés, des courses au crépuscule, à la lisière des bois. Les embuscades paraissaient partout et chaque tournant de sentier prenait pour le soldat couleur de traîtrise. La présence d’une armée en campagne autorisait les villageois à se concerter, et l’ardeur des propos qui prenait prétexte d’un verre pour naître, ne devait rien à l’ivresse. Ces villageois aimaient la grandeur, et leurs paroles précédaient de peu la flamme de leurs épées. La cruauté n’a jamais paru avec tant de vigueur qu’à cette époque. La haine prenait la mesure des corps et s’activait diligente à confectionner les cercueils. La vie se dressait en sentinelle, mais n’empêchait pas les morts de s’accroître. Le pouvoir appartenait alors à cette armée errante et son ombre n’en semblait que plus grande sur les régions traversées.
Le général Warenn, son chef suprême, était bien fait, d’une prestance entretenue par la montée quotidienne de juments de races diverses. Sa taille tenait dans les deux mains, mises pouce à pouce, de son officier d’ordonnance. Il était galant, amoureux et aimait lire des vers. Il avait eu une passion contrariée pour une dame de haute naissance et ceci expliquait son goût des belles lettres, et qu’il piquât des deux parfois sans prévenir. Son escorte le retrouvait, le menton méditatif, sur le sommet de quelque colline. Il ne daignait jamais s’expliquer. Comme il réussissait admirablement tous les exercices littéraires, il en faisait une de ses plus grandes occupations. Souvent, lorsque l’armée reposait ses membres fatigués, c’était chose ordinaire que d’apercevoir la tente éclairée du général et sa mince silhouette passant et repassant sous la clarté de la lampe. Le soldat que l’insomnie tenaillait s’endormait alors avec confiance. … »etc, etc.
♦ Ce livre a été évoqué par Guillaume Fau, conservateur à la Bibliothèque Nationale, lors de son intervention au Colloque de Dunkerque sur les premiers écrits de Michel Chaillou (actes à paraître)