Rendez-vous du samedi à la BNF, 21 mars 2009

Interviewé par Jean-Didier Wagneur de la BnF

Un dialogue avec Jean-Didier Wagneur de la Bibliothèque nationale de France, lors d’un des premiers « Rendez-vous du Samedi », sur le site François Mitterand. Michel Chaillou vient de publier Le Dernier des Romains.

 

La présentation de Jean-Didier Wagneur
Michel Chaillou c’est d’abord une œuvre. Ce terme nu, sans adjectif fait toute la différence. L’œuvre
c’est un permanent work in progress, une exigence de tous les instants. Pour le lecteur, c’est la sensation de pénétrer dans un monde, de l’habiter presque immédiatement, d’en découvrir les logiques internes, les échos, une architecture.
Pour Michel Chaillou, elle a débuté en 1968 par la publication de Jonathamour. C’est Philippe Soupault qui l’avait guidé vers le comité de lecture de Gallimard, prestigieux comité où siégeaient entre autres Raymond Queneau, Maurice Blanchot et Louis-René des Forêts. Immédiatement, le caractère atypique de cette œuvre – qui ne s’est jamais démenti depuis – a marqué les esprits. Michel Chaillou est entré dans la collection « Le Chemin » de Georges Lambrichs, comme en religion.

Plus qu’un écrivain, Michel Chaillou est un artiste, il a fait de son existence la matière même de son œuvre – et on ne s’étonnera pas que Montaigne soit un de ses auteurs de chevet. Pour autant, ce n’est pas ici ce qu’on appelle prosaïquement une autobiographie, mais plutôt une autofiction poétique ou une autographie hallucinée, puisant dans un lexique de noms propres et communs – et en plusieurs langues – mots qui ont constitué sa mythologie personnelle et qui animent son écriture.

Car rien de moins assuré, chez Michel, que le projet de se connaître. En cela il est un moderne. Réel et imaginaire, mémoire et présent, fiction et vérité sont constamment en train d’intervertir leurs places, ou plutôt de s’ouvrir les uns aux autres sans solution de continuité. Son fleuve emblématique est la Loire. Son œuvre est à son image pleine de ramifications, de bancs de sables mémoriels, d’îles aux trésors, de tourbillons mélancoliques. Les flux s’y entremêlent ou digressent à l’infini.

Michel Chaillou est un poète, si la poésie au sens générique (c’est-à-dire écrire en vers) est rare dans son œuvre, sa prose, quant à elle est un cas exceptionnel d’inventivité verbale. Une page de Chaillou se reconnaît immédiatement, musicalement. Il pratique des déconstructions lumineuses et a porté l’art de la métaphore très haut. Aussi habilement qu’un escamoteur de l’ancien régime ravirait sa bourse au dictionnaire de l’Académie. Son œuvre est celle d’un amoureux de la langue on l’aura compris, amateur de romanesques oubliées, explorateurs de l’imaginaire.

Aussi dans l’univers de Michel Chaillou, il est impossible d’oublier l’espace de la bibliothèque. On aurait dû même commencer par là.

Car la vie littéraire de Chaillou c’est une suite de bibliothèques, depuis celles de l’enfance (la bibliothèque aristocratique de la mère, la paradoxale bibliothèque diocésaine dont ses grands parents étaient les gardiens) jusqu’à la Bibliothèque nationale où il a beaucoup lu et empathiquement recopié les textes anciens (canards, factum, romans, correspondances) afin de mieux traverser les siècles, saisir le sens d’une époque et entendre les voix du passé. L’imprimé hante son œuvre. Et la lecture hante son écriture. Autant les grands textes que les oubliés et les délaissés. Car pour Michel Chaillou, la littérature se dissimule partout, et la bibliothèque est le paradis de ces épiphanies.

J’ai laissé de côté l’une des particularités de Michel  connue – c’est ce don rare qu’il a pour raconter. Il lui est souvent arrivé de le faire plusieurs heures durant, le public était captivé. Autant vous dire, que j’essaierai d’être le plus discret possible pour ne pas rompre le charme.

Avec Marie-Laure Prévost, devant les manuscrits exposés dans la Grande galerie

Michel Chaillou