L’intime

mercredi 3 septembre 2008

Je lis actuellement le Journal d’un écrivain de Virginia Woolf paru aux éditions Christian Bourgois (traduit très précisément par Germaine Beaumont) et reste confondu, très touché par la franchise de ses mots entrés en pourparlers avec eux-mêmes. Elle y explique comment elle écrit, comment elle lit, comment elle vit en marge de ses phrases, un travail de longue haleine dont on perçoit presque le souffle. Et le monde autour des pages, les ombres qui y passent, celles qui s’arrêtent pour devenir des personnages, le thé qu’on prend à plusieurs, la vaillante Angleterre qu’on pressent qui tourne sa cuillère dans la tasse. Un aveu parfois qui rend plus lourds les instants. Ainsi, le 2 août 1924, ce cri de l’âme, car parfois l’âme crie:  

Nous voici à Rodmell et j’ai vingt minutes à occuper avant le dîner. Une grande lassitude pèse sur moi, comme si nous étions très vieux et près de la fin de toute chose. Ce doit être le contraste avec Londres et son tourbillon d’activités. Et puis je suis à marée basse avec mon livre — la mort de Septimus — et je commence à croire que je suis une ratée.

Il s’agit sans doute de la rédaction des Heures à laquelle elle promet de s’atteler de juin à septembre. Si la rêverie pouvait se paginer on en serait déjà à de nombreux tomes. Elle vit en même temps que sa vie le déclin de sa vie. C’est l’automne au cœur du printemps, la neige dans le bleu azur

Jeudi 26 mai 1932
Aujourd’hui, brusquement, le poids qui pesait sur ma tête est soulevé. Je peux réfléchir, raisonner, suivre une idée, me concentre. Il se peut que ce soit le commencement d’un nouvel afflux. […] Ce matin, ma tête est toute fraîche et paisible en dedans et non plus tendue et agitée. 

Virginia Woolf ou la vie songée, ce songe dont elle change perpétuellement la robe. Un de ses romans m’étonne, je ne sais si je l’aime : Les Vagues que publièrent les éditions Plon dans la collection Feux croisés dirigée par Gabriel Marcel.
Le livre est préfacé et traduit par Marguerite Yourcenar. Six personnages y monologuent. Six vagues de paroles se succèdent dans une houle poignante. Un extrait (des enfants parlent) :

Rampons sous ce dais de feuilles de groseillier, dit Bernard, et racontons-nous des histoires. Installons-nous dans le monde souterrain. Prenons possession de notre territoire secret, que les groseilles pendantes éclairent comme des lustres, luisantes et rouges d’un côté, noires de l’autre. A condition de nous pelotonner sur nous-mêmes, Jinny, nous pouvons rester assis sous le dais de feuilles de groseillier et regarder les grappes se balancer comme des encensoirs. C’est notre univers à nous. Les autres traversent la route carrossable. Les jupes de Miss Hudson et de Miss Curry effleurent le sol, pareilles à des éteignoirs. Voici les chaussettes blanches de Suzanne. Voici les sandales de plage de Louis, toujours si propres, qui laissent dans le gravier leur ferme empreinte, etc, etc. 

J’ai entrepris aussi de lire en même temps le roman Les Années publié en folio chez Gallimard, dans une traduction de Germaine Delamain. Ainsi vont les heures, les jours, malgré les effrois de l’actualité; de la terre qui pourrit …C’est la rentrée littéraire ! Mérite-t-elle (à quelques exceptions près dont le magnifique roman de Jean Védrines, L’Italie la nuit) encore ce nom ? Une raison d’amusement : je me suis découvert des homonymes : un Michel Chaillou, auteur de La Tilleuleraie (éd. L’Ecir), et un marchand de cycles, que j’imagine très sympathique, à La Baule.

Michel Chaillou