La Rue du capitaine Olchanski

roman russe, Gallimard 1991

Manuscrit donné au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France

4e de couverture

C’est du vieux Beaupré que je tiens ce récit. Lui-même assurait le tenir du temps, si le temps est un personnage ? Vous avez tous lu La Fille du capitaine du vaillant Pouchkine. Beaupré prétendait que cet ouvrage aujourd’hui si consubstantiel à mon être avait fait le malheur de la famille. Aussi refusait-il que je l’ouvre avant ma majorité. J’avais beau insister. Il s’emportait, grondait ses raisons. Vladimir Beaupré, notre factotum aux fortes mains qui étourdirent mon enfance, l’homme à qui je fus confié dès ma naissance par un père regagné par son grand âge depuis que ma mère de trente ans plus jeune que lui (au salon son portrait inconsolable) décéda en me mettant au monde. Beaupré, le colosse lyrique souvent assommé par la mélancolie. Beaupré, l’ancien taxi à l’image de tant de ses compatriotes réfugiés dans notre pays au temps de la « grande émeute », comme il s’obstinait à vouloir appeler la Révolution de 1917. Beaupré, mouchoir fidèle qui pestait de me voir toujours perdre les miens.

Extrait (début du récit, après l’avant-propos)

Exergue : J’ai seulement crié à propos du passé

1er chapitre : Les deux Moussié

Que l’on fasse grand feu avec des gens honnêtes ou des mauvais, c’est toujours la même flamme qui éclaire. Moi, Achille Moussié plus tard Beaupré, je nais comme on meurt parmi l’inflammation vacillante des cierges, le deuil du ciel tombé sur la terre. Ma mère catafalque que j’ai roulée de douleur toute la nuit se tient le ventre, suppliant qu’on l’achève. Le lit n’est plus assez grand pour l’étendue de sa faute, ni la steppe où l’âme se cherche.On a été en toute hâte réveiller l’accoucheuse. Une pauvre essoufflée qui a eu un fils évêque. Mais depuis si longtemps que plus personne ne la croit, elle et ses chèvres. Et la « kibitka » avec son balourd de cocher qui entraînera bientôt Piotr Andréiévitch P…, l’héritier du Domaine, vers son aventureux destin tarde à revenir. En décembre, la neige, une poudreuse à forte haleine, s’amasse en forteresse. Le village se situe à cinq verstes, autant dire à des siècles avec ce fichu temps. Puis l’izba de la vieille se dresse encore à l’autre bout, bonne dernière de ses sœurs vermoulues, en lisière de la forêt qui enténèbre chaque jour davantage notre salut. Dans l’encadrement sculpté de sa porte, l’ombre fêlée de plusieurs barques, la Volga maintenant sous la glace tète pas loin. C’est à l’embarcadère que son cher Ivan un jour d’automne partit étudier au séminaire de Kazan. Le cocher Ilia Ilitch frappe à s’user les poings. Son saint patron, le prophète Elie qui avec son char produit le tonnerre, ne renforce guère la foudre de ses coup. Il cogne pourtant comme un sourd. Justement elle l’est, sourde, faible d’oreille, d’esprit avec son maigre corps à peine habitable autour d’un cœur en remous. « Doux Jésus, vous attendiez! » s’étonnera-t-elle proprement extatique parmi la tempête, l’air vociférant. Elle expirera avant que je sois en âge. On me montrait ses trois chèvres laissées en héritage au pope Alexis. Longtemps, dans l’herbage plus haut que mes yeux, je leur lançais des pierres. Je croyais ces démones cornues responsables de notre venue à moi et au demi-frère, à peine un homme (il en manque toujours la moitié) dont un méchant destin m’affubla. Sa mère, étant elle aussi, la même nuit à la même heure, prise de convulsions, mais à l’écurie, lieu qui convenait mieux à son état de vachère. La juridiction d’Akoulka s’étend en effet à tout ce qui nécessite litière de paille. Aussi l’homme à tout faire du Domaine, le vieux Patap Maximytch, et sa paillasse la fuyaient-ils comme la peste …

Revue de presse

La critique des médias

Michel Chaillou