Page de prose retrouvée

mercredi 31 mai 2010

Retrouvé dans mes papiers une feuille jaune, « bulletin A.R.C. poésie », avec le texte que voici, écrit il y a 28 ans. Sans doute l’introduction à une lecture, au Musée d’art moderne de la ville de Paris.

Il s’agit de démarrer ensemble. Vous êtes moi, je suis vous. Nos coeurs battent la même heure, touffue, bocagère. Une nuit monte, le village à l’instant dépassé s’efface, feux éteints. Seul le café tabac qui fermait, le patron rangeant les chaises, vous permet encore de rougeoyer, caporal ordinaire d’un soir d’été. Vous fumez vagabond, les ronds dans l’air décrivent votre désir. Ne jamais forcer le centre, errer sur les marges, margelles, entendre le pays eau du puits, remonter par ses lieux porche, maison, ruelle, banc enrouleur de platanes. Choisir de voir une région par ses fonds, fond de son verre bu par exemple chez. S’accorder réflexion, le temps de s’appuyer à la clôture d’un champ que les vaches ruminent de mémoire, demain le négatif développé de leurs cervelles vous exposera grandeur nature contre la haie. Des arbres vous auront fréquenté, des buissons attesteront du nombre de mûres cueillies. Nul doute qu’un chemin réveillera sa poussière au souvenir de votre passage. Pour lors, cigarette à la bouche signalant votre position aux oiseaux terroristes (ils ont l’imagination perçante), vous écoutez attentif au morse qu’expédie le paysage : un trait, plusieurs, cheval qui bronche, masure intéressante à visiter absolument. La grenouille mérite le détour. Un point, d’autres traits, cascade de traits, points, une femme s’endort, éclaboussures de sa chute, etc… Il n’y a aucun vent, la terre craque, alternance d’argiles, de sable, une rivière se balance, la traiter comme un bateau, l’attacher à vos pas de marinier nocturne, gaffer les prés, troubler d’un illusoire aviron la cour des fermes, la hotte des remises, granges. Qu’affirmait cet homme que le vin poussait plus que le vent hier? Ici la voix prend des consonances brouillées, elle s’immerge, vous écoutez toujours. Des bribes vous reviennent. Avez-vous autrefois vécu ? La pensée tressaille. Vous repartez, noyé dans une brume végétale que la moindre idée creuse. L’hôtellerie est au bout de la phrase, encore quelques pas. Au fait, a-t-elle des chambres ? Connue comme excellent restaurant, on y mange des viandes d’ogre, possède-t-elle des lits aux odeurs du pays ? Un hamac de feuilles cousues, mortes de préférence, conviendrait. Vous n’avez déjeuné que de fromage, vous êtes léger, une gomme un peu appuyée vous effacerait. A cette heure, la campagne bouge, omnibus de bois, de sources, de vallons, de bosquets, l’analogue d’une vitre baissée vous souffle au visage une fumée, fumet d’une contrée, sans doute l’ivresse due à un excès de lait. Il vous semble être deux à la portière d’un train, debout sur l’impériale d’une diligence, vous humez une fantaisie cahotée. C’est vous et moi reliés par une feuille, manière de cerf-volant à propager l’imaginaire, circulant pleines pages à travers un nuage déposé. Aussi n’est-il pas étonnant, faudrait-il dire détonnant ? que l’hôtelière surprenne comme une apparition. Elle répond par un éclair de paroles: bien sûr qu’il reste des chambres, la vôtre donne …

De quoi ai-je parlé ensuite ? Dieu seul le sait …

Michel Chaillou