Respiration et autres souffles

lundi 6 novembre 2009

De Falkner à Faulkner ou la stridence d’un u.

140 lettres adressées de 1918 à 1925 à sa mère par le futur grand William, engagé dans l’aviation (la Royal Air Force) et qui vient d’ajouter un u à son nom. Et je ne sais toujours pas pourquoi j’ai lu cette correspondance publiée chez Gallimard dans la collection « Arcades » si avidement. Est-ce dans l’espoir d’y entendre, d’y repérer déjà les accents d’aube des futurs chefs d’œuvre que sont toujours pour moi Tandis que j’agonise, Lumière d’août ou Sanctuaire ? je l’ignore mais le fait est que chaque soir dans mon lit j’imaginais des arrière-plans insongés aux phrases les plus anodines. Un exemple :

J’écris installé au soleil, la chemise ouverte pour que tout le monde puisse voir mon chandail. Vous me manquez. Billy.

Ou encore :

Chère maman, cher papa, J’ai reçu ma solde : $12, une fois déduit le prix de mon uniforme. Mais on me rendra l’argent quand je toucherai un nouvel uniforme. Cet après-midi, il va falloir que j’en consacre environ la moitié à des chaussures de sortie. Nous avons permission jusqu’à lundi soir, 23h45. Je crois que je vais descendre jusqu’au Niagara en bateau. Il fait toujours froid. De temps en temps, je passe ma main sous ma chemise, je touche mon chandail et je ris. 

Pourquoi ce rire ne cesse-t-il de rire en moi ?

Autre chose :

Hier ou avant, récemment en tout cas, le hasard guidant mes doigts, j’ouvre chez un bouquiniste de mon quartier un très vieil ouvrage des éditions Stock jauni par le temps (n’est-ce pas l’automne ?) dû à un ami de Flaubert, Ernest Feydeau (le père de Georges, le célèbre dramaturge de boulevard), auteur dont Sainte-Beuve disait qu’il avait du feu. Ce roman Fanny serait d’après lui supérieur à Madame Bovary. Qu’on en juge, voici comment il s’engage :

La maison est plantée de travers, sur une butte de sable, au bord de la grève, regardant l’Océan de côté, comme si elle se méfiait de lui. C’est une maison basse, à toit plat, couvrant un rez-de-chaussée percé d’une porte longue et de six fenêtres, avec une cheminée de plâtre à demi rompue, tout en haut. La première fois que je l’aperçus de loin, en cheminant à travers les dunes désertes, elle avait une si triste apparence que je sentis mon cœur se serrer. L’abandon s’inscrivait en crevasses béantes sur son mur éraillé, en lézardes profondes sur les tuiles ravagées de son toit ; sa porte fermée criait à chaque pression du vent en battant sur son gond unique, et la brume qui se dégageait des monts liquides de l’Océan, l’enveloppait d’un suaire. Il faisait froid.

J’aime le romantisme de ce départ, l’excès de nuages que chaque phrase va bientôt apporter. L’histoire qui suivra ne peut être que passionnée. A vous de la découvrir !

La saison des prix littéraires achevée, on respire, bien que cette année on ait moins manqué d’air, les jurys s’étant montrés, à quelques exceptions près, plus soucieux de littérature.

Michel Chaillou