Le dernier des Romains

roman Fayard 2009

Manuscrit donné au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France

4e de couverture

De retour de la guerre d’Algérie, un jeune professeur de lettres est affecté dans le vénérable lycée de Montauvert. Ici, nulle embuscade à craindre : les cours, les collègues, la rivière qui s’empresse, tout paraît paisible dans cette province du centre de la France qui tamise les bruits du monde. Aussi notre Samuel Canoby retrouve-t-il peu à peu sérénité et allégresse. N’était-il pas jusque là assez âne pour s’imaginer que des balles toutes mortelles pouvaient l’atteindre depuis l’Algérie ? C’est que justement, au cours de son service militaire dans ce pays hostile, il a marché dans Madaure, la cité romaine où naquit, en 125 après Jésus-Christ, Apulée, le célèbre auteur latin de l’Âne d’or, ce récit fabuleux où un jeune homme de son âge changé en âne doit, pour retrouver son enveloppe humaine, croquer des roses. Or Samuel n’en croque-t-il pas, déclinant en bon latiniste et Romain de cœur la fleur de ses successives compagnes ? Espère-t-il en aimant ainsi à tous vents quitter ses angoisses enfantines et finir par acquérir une stature d’adulte responsable ? Et tout ceci nous revient par la bouche illusoire d’un vieil homme qui conte les frasques de sa jeunesse, alors que ses traits se désunissent au miroir de ses heures.

Extrait (premières pages)

C’était dans les années je ne sais plus quand, soixante sans doute? Attendez que j’y réfléchisse. J’étais jeune alors, trente ans à peine, tout juste si je commençais à entendre les jours me murmurer mon âge à l’oreille. J’arrivais d’Algérie, de la guerre. J’enseignais les lettres dans un vieux lycée pacifique à Montauvert, modeste bourgade poitevine que peuple une pauvre rivière moitié torrent qui irriguait aussi mes pensées. Octobre s’engageait. Par bonheur comme embuscades possibles, ne subsistaient plus que celles de l’automne, dont témoignaient la débandade des feuilles mortes et ce vent frisquet qui vous tirait à bout portant. Je pouvais désormais tourner le dos sans crainte, envisager l’avenir d’un cœur paisible, au moins jusqu’au prochain carrefour. J’en respirais plus large. J’avais adopté le pardessus couleur anthracite et, si j’ai bonne mémoire, des écharpes, une flottille d’écharpes. J’ai toujours aimé autour du cou ces lainages volatils.— Samuel, m’appelait-on à tout bout de champ, monsieur Canoby .

Le proviseur, un sympathique pied-noir qui m’avait pris en amitié, parlait toutes les langues, enfin presque. J’ai encore son visage en bout de phrase, aigu avec des lunettes cerclées d’or, sa silhouette si hautement intelligible souvent croisée dans les couloirs, veillant à la bonne marche de l’emploi du temps. Il concédait alors deux mots (j’en rajoutais quatre), avant de me saluer poliment d’un signe de tête.

L’année scolaire s’accentuait dans ces classes grises où je me tenais volubile selon les heures à des étages différents. J’y discourais de Molière , Pascal, de Bossuet, des Corneille, Pierre et Thomas. On s’entretenait noblement du Cid. Je me taillais un franc succès avec Les Précieuses Ridicules. Les élèves de première moderne se pourvoyaient à la bibliothèque, longue pièce oblongue assommée par ses titres. La documentaliste blonde, native du Blanc (une villette par là) me souriait de toute sa jeunesse. Et le maître d’éducation physique, un musculeux qui souvent m’en contait de belles, me rassurait par sa voix de stentor et sa propension à escalader chaque instant à la force des poignets. On en riait ensemble et notre rire c’était aussi ce ballon qu’il me refilait soudain à la sortie de la salle des profs pour que j’exécute quelques tours de passe-passe, lui montre où j’en étais avec mes pieds.

Et le ciel se déchirait d’averses. Le soleil qui m’avait durant mes vingt-huit mois de service militaire obstinément tanné de ses soucis était à l’évidence resté en Algérie. Il fallait l’écrire au tableau noir pour qu’en idée un peu il nous revienne . Car de clarté, on n’avait à notre disposition que cette aube miteuse qui durait jusqu’au soir. On en devisait parfois faute de mieux entre collègues.

« Quoique parler du temps soit bon pour les innocents », s’avisait alors d’ironiser le plus accablé d’entre nous, un proche de la retraite qui avait femme et enfants et davantage. Sa silhouette sarcastique qu’il enveloppait d’une blouse blanche usée pour ses heures de chimie mettait le point final à la conversation. Chacun alors de rassembler ses affaires, de se retirer dans son quant à soi pour pester à sa guise contre les nuages.

A suivre

Revue de presse

La critique des médias

Michel Chaillou